Qu’est-ce que je te hais...

Amren & Zefyr

Et dire qu’Amren avait dû faire une croix sur la déesse encore empêtrée dans les draps qui avaient accueilli leurs deux corps, à l’étage d’une auberge d’Azath, pour rejoindre aux aurores le camp établi par les Inquisiteurs à l’écart de la ville, non loin de la majestueuse chaîne de montagnes qui servait de frontière au nord d’Azoven. Tout ça pour chasser un métamorphe en compagnie du prince, Zéfyr Sol Markam, non vraiment, la journée aurait pu mieux démarrer. Avant d’avoir le temps de regretter, la Shtrigue se mit en route pour retrouver l’homme, armée jusqu’aux dents dans son uniforme d’Inquisitrice décoré du plastron de l’Eglise en forme de soleil.

La voix de l’humain parvint à ses oreilles alors qu’elle laissait ses prunelles se promener sur le sommet des montagnes, des centaines de mètres au-dessus d’eux, tout en ajustant son arc autour d’elle. Elle ne lui avait pour le moment même pas adressé un regard – il ne méritait pas la moindre miette de son attention après tout. La seule preuve qu’elle l’avait entendu résida dans le bruit très peu élégant qui s’échappa de son nez, témoin de l’hilarité et du mépris qu’elle lui vouait, à lui et à sa remarque. La stupide, stupide idée de lui répondre qu’elle chassait déjà quand il était encore bien au chaud dans les bijoux de famille de son père l’effleura, mais il en fallait plus à Amren pour dévoiler ici et maintenant ses cartes. A vrai dire, elle mourrait avant de dire la vérité sur qui elle était.

Bon. Il avait raison, dans un sens. Si elle faisait partie des meilleurs de son clan, au point d’avoir l’honneur de servir Pasea en tant que Najmit, elle n’était absolument pas aussi discrète dans ses parties de chasse depuis qu’elle avait rejoint les insignifiantes vermines qu’étaient les Inquisiteurs. Elle devait avouer qu’elle gagnait du temps là où elle pouvait, tant que cela pouvait donner aux proies l’opportunité de s’échapper des griffes de Inquisiteurs. Des manques de discrétion plus ou moins flagrants, donc, mais pas assez pour éveiller les soupçons de ses collègues quant aux réelles motivations de la Shtrigue. Cette mission allait devoir signer la mort du métamorphe qu’elle pistait avec Sol Markam depuis quelques temps. Deux sorties qu’elle avait sabotées avec un sourire victorieux soigneusement dissimulé derrière son masque de frustration. Deux sorties au cours desquelles elle avait décrété qu’elle le hissait en tête de liste des humains à éliminer d’une mort lente et douloureuse si un jour les Doyennes lui en donnaient l’autorisation. Son statut y était évidemment pour quelque chose – petit prince au port altier et au comportement à vomir. Elle le haïssait de tout son être, de chaque fibre de son corps, et il le lui rendait bien.

L’avantage étant que ni l’un ni l’autre ne ressentait le besoin de faire la conversation. Des insultes prononcées à mi-voix ou des commentaires désobligeants franchement adressés au compagnon d’infortune rythmaient leurs rencontrent et promettaient une collaboration des plus désagréables. Non pas qu’Amren ne savourait pas de voir le prince constamment outré ou frustré. Elle aimait en jouer. Comme en ce moment, où elle daigna enfin faire glisser ses prunelles sombres du sommet du crâne aux pieds de Sol Markam, dévoilant dans un sourire tordu d’insolence ses dents trop blanches, ses canines trop pointues. Elle y passa sa langue distraitement, son regard effronté s’attardant sur le visage qu’elle rêvait d’écraser sous sa botte.

« C’est certainement pas en faisant ta mijaurée qu’on aura cette tête, princesse. On peut y aller si t’arrives à bougonner et marcher ? »

Elle se mit à avancer sur ces bonnes paroles. Ils avaient du chemin à parcourir pour atteindre la zone qu’ils avaient quadrillée, et ils devaient prendre garde au sens du vent pour ne pas que leur cible hume leur présence. L’effort les cueillit vite quand la pente se fit plus raide, la température baissant au fur et à mesure qu’ils montaient. Dans ces moments-là, elle regrettait de ne pouvoir faire appel à sa magie pour réchauffer son corps, elle qui supportait mal le froid. Le cuir de sa tenue l’isolait plutôt bien, ce qui était déjà un bon point. Mais l’éventualité qu’ils doivent étaler cette traque sur plusieurs jours avait de quoi faire grincer des dents.